Les enfants du diable

Collection Photo Poche, éditions Nathan, 2001.


Les limites du photographe.

Être utile. Je ne cherche pas autre chose dans mon métier de photographe.
Je n’ai jamais voulu être spectateur ou témoin, J’ai toujours été là où je pensais que ma présence pourrait servir à quelque chose, convaincu que les images que je rapportais étaient au service de ceux qui m’avaient permis de les faire.
Je suis parti en Roumanie chargé des mêmes intentions. Pour la première fois j’ai rencontré les limites de mon engagement de photographe.
Je me suis trouvé face à une tragédie qui me dépassait. Je ne servais à rien. Comment croire que je puisse faire la moindre chose pour ces enfants que le monde entier a abandonné ?
Je n’oublierai jamais ces petits en guenilles qui s’accrochaient à moi, ceux qui hurlaient de douleur enchaînés à leurs lits, l’odeur infecte dans laquelle ils vivaient. Je n’oublierai pas non plus les mères exténuées et détruites par les grossesses et les abandons, résignées au malheur absolu.
Je me suis demandé souvent quelle était ma place dans cette horreur organisée. Doit-on rester lorsqu’on ne peut rien donner ?
Faut-il aller jusqu’au bout de ses ressources morales lorsqu’on ne sait plus pourquoi on le fait ? Impuissant à apporter la moindre réponse, je suis resté parce qu’abandonner aurait été une plus grande trahison encore.

Jean-Louis Courtinat.