Des êtres sans importance

En octobre 2014, alors que nos décideurs se penchaient comme chaque automne sur les interminables « plan hiver » destinés à accueillir les sans-abris dans des hébergements d’urgence, j’ai voulu montrer le quotidien de ceux qui avaient vécu très longtemps dans la rue, et qui étaient relogés par l’association Les Petits Frères Des Pauvres, dans des hôtels sociaux, trop souvent vétustes et insalubres.

Les personnes que j’ai suivies ont rejeté leur famille ou ont été rejetées par elle. La plupart se sentent invisibles et se retirent de la vie sociale. Un grand nombre vit des minimas sociaux. Beaucoup ont de graves problèmes de dépendance à l’alcool. Pour ces personnes, avoir un toit, même si ce n’est qu’un taudis, est vital pour elles. Toutes m’ont parlé de leur désir de se poser, d’avoir leurs clefs, une boite aux lettres, bref d’être reconnues malgré leur exclusion.

Il m’a fallu énormément de temps, d’écoute et de proximité pour gagner leur confiance. Nous nous retrouvions dans les associations, ou dans leur chambre d’hôtel. Leurs propos étaient si bouleversants que la photographie ne suffisait pas. Je me suis muni d’un petit carnet, que je gardais en permanence avec moi, et dans lequel je notais leurs phrases les plus fortes. Il m’a semblé important de conserver leur façon de s’exprimer.

A ce jour, j’ai suivi 80 personnes. Toutes m’ont acceptées chaleureusement dans leur vie quotidienne. Qu’elles en soient remerciées.

J.L Courtinat.

Ma mère désirait absolument un garçon. Elle me l’a fait payer. Toute mon enfance, j’ai été battue et humiliée. Mon père ne disait rien. Il était ailleurs.

Les médecins veulent m’interner en psychiatrie. Ils aimeraient me voir sous camisole chimique, avec le raisonnement d’une moule. Il n’en est pas question. Je reste un être humain.

Les services d’hygiène m’ordonnent de jeter mes affaires. Ils me parlent d’insalubrité. Je réponds que toute ma vie est dans cette chambre.
J’ai décidé de vivre devant ma porte pour les empêcher de rentrer chez moi. La guerre risque d’être longue.

Michelle

J’ai rencontré Raymond aux Petits Frères. Il sortait de quinze ans de rue. Il était timide et effacé. Je le sentais tellement vulnérable, que j’en suis tombée amoureuse.

Il m’a fallu beaucoup de temps pour le conquérir. Il avait un côté bourru, et refusait toutes mes avances.

Finalement je suis arrivée à mes fins. Nous sommes ensemble depuis quatre ans.

On a retrouvé des plaisirs simples, comme le désir de plaire à l’autre, ou partager des moments de tendresse et d’affection.
Un peu de bonheur sur nos vieux jours.

Patricia et Raymond

Je m’appelle Somjit. Je suis transsexuel. Ma famille a cru que j’étais possédée par le diable. Elle m’a chassé de la maison.

J’ai travaillé dans un bar de nuit à Bangkok. Je vivais avec un proxénète. Nous avons quitté la Thaïlande en 2001. Arrivés à Paris, il m’a forcé à me prostituer.

J’enchainais les passes au bois de Boulogne. Une nuit, un client m’a tabassé. La police m’a retrouvé dans un fossé. J’étais pratiquement morte. Je suis restée six ans à L’Armée du Salut.

Aujourd’hui, j’habite dans une petite chambre d’hôtel. Je vis misérablement mais je suis sereine. J’ai enfin accepté ma dualité. Je pense avoir droit à un peu de bonheur.

Somjit

Je suis marocaine. Nous avons émigré en France en 1978. Mon mari travaillait sur les chantiers à Paris. Tout allait bien. Un jour Il a perdu son emploi. Il s’est mis à me battre. Je me suis enfuie.

Je vis à l’hôtel. Ma fille habite avec moi. Elle est handicapée. Je ne sais ni lire ni écrire. Je n’ose pas parler aux gens. J’ai trop honte.

J’aimerais avoir un petit chez moi. Une cuisine pour faire à manger. Une douche pour rester propre. Retrouver ma dignité. C’est mon seul rêve.

Fatima

Je ne veux pas parler de mon passé. C’est trop douloureux.

La solitude est une vraie maladie. Elle vous étouffe peu à peu, comme un serpent.

N’exister pour personne est la pire des choses. Sans affection, on perd son âme. On devient fanée de l’intérieur.

Mourir d’amour est possible. On peut aussi mourir de solitude. Il suffit d’être patient.

Lily

Mon père était un monstre. Il nous martyrisait ma mère et moi. Tout était prétexte à une rafale de coups. Après il disait qu’il nous aimait. Je n’y comprenais rien.

Cette enfance a laissé en moi une blessure non cicatrisée, qui m’empêche de vivre et d’aimer. Comme tous les faibles, je suis tombé dans la drogue. J’y ai laissé ma peau.

A soixante-dix ans, la solitude me pèse. Je tourne en rond dans cette petite chambre, qui me renvoie à l’enfance et à mes angoisses. J’ai l’impression de ne pas avoir vécu.

César

Je suis transgenre. J’ai toujours rejeté mon identité d’homme. Toute ma vie, j’ai souffert du regard des autres. C’est comme le venin d’un serpent. Ça te paralyse. Impossible de trouver ma place dans cette société. Et d’ailleurs qui suis-je ? Je me regarde, mais je ne me reconnais pas.

Je loge dans un hôtel miteux. Je lutte de toutes mes forces contre cette solitude qui me ronge. Tout me semble superficiel et aléatoire. Je me contente de survivre.

Patricia

Soyez miséricordieux comme l’est notre Dieu. Je suis née au Bénin. Mon père avait six femmes et dix-huit enfants. On m’a marié à mon cousin. Je le détestais. Nous avons eu six garçons.

En 2011, j’ai eu un grave accident. On m’a rapatrié en France. Ma famille est restée au pays.

La foi sans les actes est vaine. J’ai économisé pendant quatre ans pour voir le pape à Rome. C’est un honneur que le divin m’accorde. Je prie pour le salut de son âme.

Marie Elise

Je m’appelle Ginette. Ma mère m’a abandonné à la Ddass. En 1966, j’ai failli être Miss France. A cette époque, j’étais jeune et belle. J’avais une taille de guêpe, et de la conversation.

J’adorai mon mari. Quand il est mort, ça a été la descente aux enfers. Je n’en suis toujours pas remise. Les Petits Frères m’ont récupérée dans la rue. J’étais dans un sale état.

Quand je me sens seule, je retourne voir mes copains de galère. Parfois j’en fait monter un. C’est juste pour la tendresse. Je n’ai plus d’amour à offrir.

Je pense à mon pauvre mari. Je n’aimerais pas qu’il me voit dans cet état. Moi sa petite poule, son ancienne Miss.

Ginette

On m’appelle Maître Jacques. Mon père n’était pas un affectueux. Lorsqu’il avait picolé, il nous tabassait. J’ai appris la vie dans la rue. Ça vous forge le caractère.

J’ai été marié trois fois. J’ai quatre mômes. Des femmes, j’en consomme autant que je veux. Toujours des rencontres d’un soir. Je ne veux plus m’attacher.

J’aimerais que mon corps tienne encore un peu. Après, je tire ma révérence.

Jacques

J’ai rencontré Cathy il y a treize ans. On faisait la manche tous les deux. Elle est handicapée. Elle perd un peu la tête. Je l’aime comme elle est.

On est logé à l’hôtel Star. C’est tout ce qu’on voulait. Se retrouver ensemble. La rue, c’est épuisant. On y a laissé notre peau.

On vit sur le lit. Il nous sert pour dormir et manger. Je fais la manche une fois par semaine. Ça nous permet de tenir quatre jours.

On aimerait se marier. Laisser une petite trace comme quoi on a vécu ensemble. J’espère qu’on tiendra physiquement. On est quand même au bout du rouleau.

Xavier
Xavier est décédé en 2015, Cathy en 2016.

Je m’appelle Marie-Thérèse. En 2001 j’ai eu un grave accident de la route. On m’a donné une pension de huit cents euros par mois. Impossible de tenir avec si peu.

J’ai été expulsée de mon logement. Je n’ai pas osé en parler à ma famille. Je suis devenue clocharde.
Toutes les femmes SDF sont violées. J’ai toujours veillé à rester présentable. Ça n’a pas suffi.

Les Petits Frères m’ont trouvé une chambre. J’en ai pleuré de joie. Pour moi ça n’a pas de prix.

Reste à supporter le regard des autres, sans avoir honte, et sans baisser la tête.

Marie-Thérèse

Je suis né à Denain. J’ai passé ma jeunesse en bas de l’immeuble. J’ai toujours été livré à moi-même.

A seize ans, j’ai fait un braquage. J’ai pris douze ans de prison.

Après la taule, j’ai planté ma tente au bois de Vincennes. La nuit, c’est la jungle. Je ne me déplaçais jamais sans mon couteau.

J’étais ami avec les putes. Je faisais leurs courses. En hiver, elles me laissaient dormir dans leur camionnette.

Aujourd’hui, je vis cloitré dans ma chambre. Je ne veux voir personne. Qu’on me fiche la paix !!!

Patrick

Je m’appelle Djamila. Toute ma vie, ma mère m’a traité de bâtarde. Elle me frappait avec une corde mouillée pour que ça fasse mal.

Je me suis enfuie. J’ai vécu avec une bande de SDF. Je devais coucher avec eux. J’étais comme une pute.

Je suis tombée enceinte. J’ai avorté. L’assistante sociale m’a trouvé une chambre de bonne. Le gérant m’a proposé de garder l’hôtel. C’était il y a quinze ans. J’y suis toujours.

Je reste sur ma chaise du matin au soir. Je suis la chef. C’est moi qui décide qui monte ou pas.

Je n’ai jamais revu ma famille. Ils doivent penser que je suis morte. C’est mieux comme ça.

Djamila

Je suis artiste de rue. Mon Olympia, c’est La terrasse des cafés. Mon public, les clients des bars.

A soixante-douze ans, je n’ai pratiquement plus de voix. Je ressemble plus à une vieille loque, qu’à un rocker.

Ma chambre me coûte un bras. Les marchands de sommeil font un profit maximum avec nous. C’est ça ou la rue. Moi j’en peux plus de la rue. J’y ai passé ma vie.

J’ai décidé de quitter la scène. Je tire les rideaux. The show must go on, mais sans moi.

Patrice
Patrice est décédé en 2023.

Pendant quinze ans j’ai été humiliée par mon mari. Des coups de poings dans le ventre et sur le visage. Je pensais que mes voisins viendraient me sauver. Ça n’est jamais arrivé.

J’ai tenu le plus longtemps possible pour les enfants. Un soir, il m’a étranglé. J’ai été hospitalisée pendant trois mois.

Je n’ai pas eu le courage de rentrer à la maison. Je suis restée dans la rue. Mon mari a obtenu la garde des enfants. Seuls les Petits Frères m’ont tendu la main.

Parfois je rêve que je retourne en enfance. Je redeviens cette petite fille insouciante que j’étais. J’aimerais ne plus me réveiller.

Martine

Mon prénom c’est Paulette. J’habite dans une chambre de bonne. J’y suis bien. C’est mieux que la rue.

J’ai un toit sur la tête, et mes clefs autour du cou. Le reste je m’en fiche.

Ma vie est simple. Le matin, je ramasse des mégots. Le soir, je picole au square avec mes potes.

Il parait qu’il faut que je change de chambre, car je suis insalubre. Il y aura une douche et des toilettes. Je n’ai jamais connu ça. Je vais être comme une princesse.

Paulette

Mon cas est banal. Je fais partie de la cohorte des misérables. Dois-je pour autant accepter de vivre dans un taudis ? Pourquoi m’inflige-t-on une double peine ? Ne suis-je pas un être humain ?

Je revendique le droit d’avoir un logement décent. Je refuse de survivre au milieu des cafards, et des punaises de lit. Est-ce beaucoup demander ? Je sais qu’au regard de la société, je n’existe plus. Je fais partie des Sans-Voix, et des Sans-Dents.

Pourtant je suis vivant. Je suis même quelqu’un de très cultivé. Ne détournez pas les yeux lorsque vous me croisez. Regardez-moi en face !!!

Hervé

Je suis née à Saigon en 1948. Ma mère était pianiste. Je l’accompagnais souvent à ses concerts. En 1965, les Khmers rouges ont envahi notre pays. Mon père et mon frère sont morts sous mes yeux. Je ne m’en suis jamais remise.

Ma mère et moi avons été rapatriées en France. On a vécu dans un centre pour réfugiés. Elle est morte dans mes bras en 1983.

Je vis dans une chambre de bonne. Je surveille les gens qui passent. Je crains toujours d’être enlevée par des espions communistes. Je prie les dieux célestes pour qu’ils me rendent la paix intérieure, et la sérénité.

Anna

Je suis né à Paris en 1947. A dix-sept ans, on m’a envoyé à la campagne. je travaillais douze heures par jour. je dormais dans l’étable avec les vaches.

A vingt ans, j’ai signé à la légion. A la sortie, J’ai trouvé un boulot aux Halles. La nuit on allait voir les filles. Fallait leur payer le resto et l’hôtel. On était des seigneurs.

Aujourd’hui, j’ai un appareil pour respirer, et un déambulateur pour marcher. Je suis une épave. J’ai honte de me regarder dans la glace.

Je sais comment je vais crever. Seul dans mon lit, face à la télé.

Emmanuel
Emmanuel est décédé en 2019.

J’ai vécu huit ans avec une bande de clochards. J’étais leur protégée. Je câlinais ceux qui allaient mal.

C’est moi qui devais faire la manche. Il y a ceux qui vous ignorent, et les autres qui vous marchent dessus.

On dormait à la gare du Nord. Les vigiles nous chassaient. « Allez mourir dehors les clodos, qu’ils disaient ». Nous, on essayait juste de survivre.

J’aurais voulu avoir une vraie famille avec pleins d’enfants autour de moi. Je suis sûre que j’aurais été une bonne mère.

Nicole

Je m’appelle Gérard. Je ne veux pas qu’on sache où j’habite. C’est mon secret. Je n’ai aucune famille.

Toute ma vie, j’ai connu des galères. Aujourd’hui, je suis handicapé. Je loge dans une petite chambre. J’y suis bien. J’ai mes clefs et ma boite aux lettres. C’est l’essentiel. En hiver il fait froid. J’ai des couvertures. Pas de problème.

Toute la journée, je regarde la télé avec mon chat. Personne ne connait mon passé. Je le garde pour moi. Je suis d’accord pour les photos. C’est tout.

Gérard
Gérard est décédé en 2019.

Ma mère désirait absolument un garçon. Elle me l’a fait payer. Toute mon enfance, j’ai été battue et humiliée. Mon père ne disait rien. Il était ailleurs.

Les médecins veulent m’interner en psychiatrie. Ils aimeraient me voir sous camisole chimique, avec le raisonnement d’une moule. Il n’en est pas question. Je reste un être humain.

Les services d’hygiène m’ordonnent de jeter mes affaires. Ils me parlent d’insalubrité. Je réponds que toute ma vie est dans cette chambre.
J’ai décidé de vivre devant ma porte pour les empêcher de rentrer chez moi. La guerre risque d’être longue.

Michelle

J’ai rencontré Raymond aux Petits Frères. Il sortait de quinze ans de rue. Il était timide et effacé. Je le sentais tellement vulnérable, que j’en suis tombée amoureuse.

Il m’a fallu beaucoup de temps pour le conquérir. Il avait un côté bourru, et refusait toutes mes avances.

Finalement je suis arrivée à mes fins. Nous sommes ensemble depuis quatre ans.

On a retrouvé des plaisirs simples, comme le désir de plaire à l’autre, ou partager des moments de tendresse et d’affection.
Un peu de bonheur sur nos vieux jours.

Patricia et Raymond

Je m’appelle Somjit. Je suis transsexuel. Ma famille a cru que j’étais possédée par le diable. Elle m’a chassé de la maison.

J’ai travaillé dans un bar de nuit à Bangkok. Je vivais avec un proxénète. Nous avons quitté la Thaïlande en 2001. Arrivés à Paris, il m’a forcé à me prostituer.

J’enchainais les passes au bois de Boulogne. Une nuit, un client m’a tabassé. La police m’a retrouvé dans un fossé. J’étais pratiquement morte. Je suis restée six ans à L’Armée du Salut.

Aujourd’hui, j’habite dans une petite chambre d’hôtel. Je vis misérablement mais je suis sereine. J’ai enfin accepté ma dualité. Je pense avoir droit à un peu de bonheur.

Somjit

Je suis marocaine. Nous avons émigré en France en 1978. Mon mari travaillait sur les chantiers à Paris. Tout allait bien. Un jour Il a perdu son emploi. Il s’est mis à me battre. Je me suis enfuie.

Je vis à l’hôtel. Ma fille habite avec moi. Elle est handicapée. Je ne sais ni lire ni écrire. Je n’ose pas parler aux gens. J’ai trop honte.

J’aimerais avoir un petit chez moi. Une cuisine pour faire à manger. Une douche pour rester propre. Retrouver ma dignité. C’est mon seul rêve.

Fatima

Je ne veux pas parler de mon passé. C’est trop douloureux.

La solitude est une vraie maladie. Elle vous étouffe peu à peu, comme un serpent.

N’exister pour personne est la pire des choses. Sans affection, on perd son âme. On devient fanée de l’intérieur.

Mourir d’amour est possible. On peut aussi mourir de solitude. Il suffit d’être patient.

Lily

Mon père était un monstre. Il nous martyrisait ma mère et moi. Tout était prétexte à une rafale de coups. Après il disait qu’il nous aimait. Je n’y comprenais rien.

Cette enfance a laissé en moi une blessure non cicatrisée, qui m’empêche de vivre et d’aimer. Comme tous les faibles, je suis tombé dans la drogue. J’y ai laissé ma peau.

A soixante-dix ans, la solitude me pèse. Je tourne en rond dans cette petite chambre, qui me renvoie à l’enfance et à mes angoisses. J’ai l’impression de ne pas avoir vécu.

César

Je suis transgenre. J’ai toujours rejeté mon identité d’homme. Toute ma vie, j’ai souffert du regard des autres. C’est comme le venin d’un serpent. Ça te paralyse. Impossible de trouver ma place dans cette société. Et d’ailleurs qui suis-je ? Je me regarde, mais je ne me reconnais pas.

Je loge dans un hôtel miteux. Je lutte de toutes mes forces contre cette solitude qui me ronge. Tout me semble superficiel et aléatoire. Je me contente de survivre.

Patricia

Soyez miséricordieux comme l’est notre Dieu. Je suis née au Bénin. Mon père avait six femmes et dix-huit enfants. On m’a marié à mon cousin. Je le détestais. Nous avons eu six garçons.

En 2011, j’ai eu un grave accident. On m’a rapatrié en France. Ma famille est restée au pays.

La foi sans les actes est vaine. J’ai économisé pendant quatre ans pour voir le pape à Rome. C’est un honneur que le divin m’accorde. Je prie pour le salut de son âme.

Marie Elise

Je m’appelle Ginette. Ma mère m’a abandonné à la Ddass. En 1966, j’ai failli être Miss France. A cette époque, j’étais jeune et belle. J’avais une taille de guêpe, et de la conversation.

J’adorai mon mari. Quand il est mort, ça a été la descente aux enfers. Je n’en suis toujours pas remise. Les Petits Frères m’ont récupérée dans la rue. J’étais dans un sale état.

Quand je me sens seule, je retourne voir mes copains de galère. Parfois j’en fait monter un. C’est juste pour la tendresse. Je n’ai plus d’amour à offrir.

Je pense à mon pauvre mari. Je n’aimerais pas qu’il me voit dans cet état. Moi sa petite poule, son ancienne Miss.

Ginette

On m’appelle Maître Jacques. Mon père n’était pas un affectueux. Lorsqu’il avait picolé, il nous tabassait. J’ai appris la vie dans la rue. Ça vous forge le caractère.

J’ai été marié trois fois. J’ai quatre mômes. Des femmes, j’en consomme autant que je veux. Toujours des rencontres d’un soir. Je ne veux plus m’attacher.

J’aimerais que mon corps tienne encore un peu. Après, je tire ma révérence.

Jacques

J’ai rencontré Cathy il y a treize ans. On faisait la manche tous les deux. Elle est handicapée. Elle perd un peu la tête. Je l’aime comme elle est.

On est logé à l’hôtel Star. C’est tout ce qu’on voulait. Se retrouver ensemble. La rue, c’est épuisant. On y a laissé notre peau.

On vit sur le lit. Il nous sert pour dormir et manger. Je fais la manche une fois par semaine. Ça nous permet de tenir quatre jours.

On aimerait se marier. Laisser une petite trace comme quoi on a vécu ensemble. J’espère qu’on tiendra physiquement. On est quand même au bout du rouleau.

Xavier
Xavier est décédé en 2015, Cathy en 2016.

Je m’appelle Marie-Thérèse. En 2001 j’ai eu un grave accident de la route. On m’a donné une pension de huit cents euros par mois. Impossible de tenir avec si peu.

J’ai été expulsée de mon logement. Je n’ai pas osé en parler à ma famille. Je suis devenue clocharde.
Toutes les femmes SDF sont violées. J’ai toujours veillé à rester présentable. Ça n’a pas suffi.

Les Petits Frères m’ont trouvé une chambre. J’en ai pleuré de joie. Pour moi ça n’a pas de prix.

Reste à supporter le regard des autres, sans avoir honte, et sans baisser la tête.

Marie-Thérèse

Je suis né à Denain. J’ai passé ma jeunesse en bas de l’immeuble. J’ai toujours été livré à moi-même.

A seize ans, j’ai fait un braquage. J’ai pris douze ans de prison.

Après la taule, j’ai planté ma tente au bois de Vincennes. La nuit, c’est la jungle. Je ne me déplaçais jamais sans mon couteau.

J’étais ami avec les putes. Je faisais leurs courses. En hiver, elles me laissaient dormir dans leur camionnette.

Aujourd’hui, je vis cloitré dans ma chambre. Je ne veux voir personne. Qu’on me fiche la paix !!!

Patrick

Je m’appelle Djamila. Toute ma vie, ma mère m’a traité de bâtarde. Elle me frappait avec une corde mouillée pour que ça fasse mal.

Je me suis enfuie. J’ai vécu avec une bande de SDF. Je devais coucher avec eux. J’étais comme une pute.

Je suis tombée enceinte. J’ai avorté. L’assistante sociale m’a trouvé une chambre de bonne. Le gérant m’a proposé de garder l’hôtel. C’était il y a quinze ans. J’y suis toujours.

Je reste sur ma chaise du matin au soir. Je suis la chef. C’est moi qui décide qui monte ou pas.

Je n’ai jamais revu ma famille. Ils doivent penser que je suis morte. C’est mieux comme ça.

Djamila

Je suis artiste de rue. Mon Olympia, c’est La terrasse des cafés. Mon public, les clients des bars.

A soixante-douze ans, je n’ai pratiquement plus de voix. Je ressemble plus à une vieille loque, qu’à un rocker.

Ma chambre me coûte un bras. Les marchands de sommeil font un profit maximum avec nous. C’est ça ou la rue. Moi j’en peux plus de la rue. J’y ai passé ma vie.

J’ai décidé de quitter la scène. Je tire les rideaux. The show must go on, mais sans moi.

Patrice
Patrice est décédé en 2023.

Pendant quinze ans j’ai été humiliée par mon mari. Des coups de poings dans le ventre et sur le visage. Je pensais que mes voisins viendraient me sauver. Ça n’est jamais arrivé.

J’ai tenu le plus longtemps possible pour les enfants. Un soir, il m’a étranglé. J’ai été hospitalisée pendant trois mois.

Je n’ai pas eu le courage de rentrer à la maison. Je suis restée dans la rue. Mon mari a obtenu la garde des enfants. Seuls les Petits Frères m’ont tendu la main.

Parfois je rêve que je retourne en enfance. Je redeviens cette petite fille insouciante que j’étais. J’aimerais ne plus me réveiller.

Martine

Mon prénom c’est Paulette. J’habite dans une chambre de bonne. J’y suis bien. C’est mieux que la rue.

J’ai un toit sur la tête, et mes clefs autour du cou. Le reste je m’en fiche.

Ma vie est simple. Le matin, je ramasse des mégots. Le soir, je picole au square avec mes potes.

Il parait qu’il faut que je change de chambre, car je suis insalubre. Il y aura une douche et des toilettes. Je n’ai jamais connu ça. Je vais être comme une princesse.

Paulette

Mon cas est banal. Je fais partie de la cohorte des misérables. Dois-je pour autant accepter de vivre dans un taudis ? Pourquoi m’inflige-t-on une double peine ? Ne suis-je pas un être humain ?

Je revendique le droit d’avoir un logement décent. Je refuse de survivre au milieu des cafards, et des punaises de lit. Est-ce beaucoup demander ? Je sais qu’au regard de la société, je n’existe plus. Je fais partie des Sans-Voix, et des Sans-Dents.

Pourtant je suis vivant. Je suis même quelqu’un de très cultivé. Ne détournez pas les yeux lorsque vous me croisez. Regardez-moi en face !!!

Hervé

Je suis née à Saigon en 1948. Ma mère était pianiste. Je l’accompagnais souvent à ses concerts. En 1965, les Khmers rouges ont envahi notre pays. Mon père et mon frère sont morts sous mes yeux. Je ne m’en suis jamais remise.

Ma mère et moi avons été rapatriées en France. On a vécu dans un centre pour réfugiés. Elle est morte dans mes bras en 1983.

Je vis dans une chambre de bonne. Je surveille les gens qui passent. Je crains toujours d’être enlevée par des espions communistes. Je prie les dieux célestes pour qu’ils me rendent la paix intérieure, et la sérénité.

Anna

Je suis né à Paris en 1947. A dix-sept ans, on m’a envoyé à la campagne. je travaillais douze heures par jour. je dormais dans l’étable avec les vaches.

A vingt ans, j’ai signé à la légion. A la sortie, J’ai trouvé un boulot aux Halles. La nuit on allait voir les filles. Fallait leur payer le resto et l’hôtel. On était des seigneurs.

Aujourd’hui, j’ai un appareil pour respirer, et un déambulateur pour marcher. Je suis une épave. J’ai honte de me regarder dans la glace.

Je sais comment je vais crever. Seul dans mon lit, face à la télé.

Emmanuel
Emmanuel est décédé en 2019.

J’ai vécu huit ans avec une bande de clochards. J’étais leur protégée. Je câlinais ceux qui allaient mal.

C’est moi qui devais faire la manche. Il y a ceux qui vous ignorent, et les autres qui vous marchent dessus.

On dormait à la gare du Nord. Les vigiles nous chassaient. « Allez mourir dehors les clodos, qu’ils disaient ». Nous, on essayait juste de survivre.

J’aurais voulu avoir une vraie famille avec pleins d’enfants autour de moi. Je suis sûre que j’aurais été une bonne mère.

Nicole

Je m’appelle Gérard. Je ne veux pas qu’on sache où j’habite. C’est mon secret. Je n’ai aucune famille.

Toute ma vie, j’ai connu des galères. Aujourd’hui, je suis handicapé. Je loge dans une petite chambre. J’y suis bien. J’ai mes clefs et ma boite aux lettres. C’est l’essentiel. En hiver il fait froid. J’ai des couvertures. Pas de problème.

Toute la journée, je regarde la télé avec mon chat. Personne ne connait mon passé. Je le garde pour moi. Je suis d’accord pour les photos. C’est tout.

Gérard
Gérard est décédé en 2019.